mardi 11 décembre 2007

Justice

lundi 10 décembre 2007

Pardon

Langage

les mots, mots, oh lala je parle je parle et le temps passe ah oui qu'est ce que je disais déjà ? Ah non, mais bon, c'est vvrai, c'est un vrai con, d'ailleurs pas plus tard Tque, c'était qu pas, oui c'est pas le croire, tu sais c'était le jour où… non, tu n'étais pas là, toi… Je ne crois, pas, oui c'est ça, si si. Quoi ? Hein ? N'importe quoi ! Pffff, lol,A mdr… C'est exactement le mot qu'il a prononcé, je t'assure, hein, non, mais on on me l'a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est Ice que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? N'importe quoi ! Pffff, lol, mdr… C'est exactement le mot qu'il a prononcé a dit, qui ? Je sais plus Sécoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'Nest ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avecO tes questions, et puis qu'est ce que ça peutO fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu Ume gave avec tes questions, et puis quN'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? J'ai mal au dos, au quai au quai j'irais mais c'est rembSoursé quoi quoi ? Pffff, lol, mdr… C'estS exactement le mot qu'il a prononcé, je t'assure, hein, non, mais on on me l'a dit, qui ? Je sais plus écoUute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? N'importe quoi ! Pffff, lol, mdr… C'est exactementNle mot qu'il a prononcé a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui P? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? J'ai mal au dos, au quai au quai Ej'irais mais c'est remboursé quoi quoi ? Pffff, lol, mdr… C'est exactement le mot qu'il a prononcé, je t'assure, hein, non, mais on on me l'a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? N'importe quoi ! Pffff, lol, mdr… C'est exactement le mot qu'il a prononcé a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avecU tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? J'ai mal au dos, au quai au quai j'irais mais c'est remboursé quoi quoi ? Pffff, lol, mdr… C'est exactement le mot qu'il a prononcé, je t'assure, hein, non, mais on on me l'a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? N'importe quoi ! Pffff, lol, mdr… C'est exactement le mot qu'il a prononcé a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? a dit, qui ? Je sais plus écoute, tu me gave avec tes questions, et puis qu'est ce que ça peut fiche ? pas, oui c'est pas, oui c'est mots Quoi ? Hein ? J'ai mal au dos, au quai au quai j'irais mais c'est remboursé quoi quoi ?



A Martine


Tes quarante balais. Vit’fait !

Tes quarante balais, chérie, j’les ai oubliés.
Qu’est-ce que j’te donn’, pour’qu’tu m’pardonnes ?

Quelques biftons ? C’est pas dans l’ton !
Promesses d’av’nir ? J’peux pas les t’nir !

Un gros baiser ? T’es habituée !
Un p’tit bouquin ? J’en ai pas, là, sous la main…

Un peu d’amour ? Attrapes toujours !
Voilà, tu vois, je suis coinçé !

Après tout, p’têt qu’l’air de fête, la musique, les flonflons,
tu les as pris, depuis vingt ans que tu m’subis…

Alors, écoutes, j’ai qu’ma dégaine, mon rien, ma peine,
tout l’reste est là, autour de toi…

C’est nos quat’gars, c’est moi, c’est toi !

Ça fait vingt ans que d’temps en temps, on s’dit com’ça
qu’évidemment, avec un autre, ça s’rait marrant !

Pourtant, lâch’té ou bien, peut-être, fidélité,
c’est toujours nous qu’on voit l’matin, au petit jour !

Qu’est-c’que j’te donne, pour qu’tu m’pardonnes ?
Un peu d’amour ?

Ligne droite

dimanche 9 décembre 2007

Essai 6

Dans ma rue


Rue Léon Bonnard – Constantine – 1958-1962

Dans ma rue, la vie fourmille entre zéro et cent. Je parle en centimètres du haut de mes sept ans.
Zéro. C’est la hauteur sur le gravier des boîtes de tabac à priser. Du bon ! Du Benchicou de Constantine. Des boîtes bien écrasées, qui partent droit quand on shoote dedans.
Soixante-dix. C’est la hauteur des hommes après repas, dans le soleil brut du début d’après-midi. Accroupis, en ligne, dans l’ombre rare d’un bas de mur, ils achètent pour quelques centimes un petit verre de café au vendeur qui en porte un plein plateau. Puis ils retourneront ensacher le blé de la coopérative, dans les poussières en suspension.
Trente. Mais là, respect ! C’est de mètres que je parle. Ceux qui me séparent de la Chevrolet Impala du Bachaga descendu des hauts plateaux pour mégoter à mon père un meilleur prix sur ses milliers de quintaux de blé dur. Pour le corrompre : trois poules faméliques et quelques œufs dans le fond d’un panier… Éternel paysan, sous tous les continents.
Dans ma rue, enfin, qui se termine près d’un pont, chaque matin en partant à l’école, je dois changer de trottoir, pour m’éloigner, peu rassuré, de ce clochard fou qui abrutit sa vie et affole la mienne dans l’alcool à brûler.
Dans ma rue, la nuit, j’entends crier le fou, caché dans les gorges noires du Rumel. On l’appelle Alaoua, car il crie Alaoua et ses cris nous angoissent, jusqu’à renaître un jour, bien plus tard à ma conscience d’homme : ses cris, c’était Allah Ouakbar, rue Léon Bonnard.


Rue de l’église – Caumont-sur-Durance – 1963-1964

Quelles raisons avais-je de sortir dans ma rue ? Une rue provençale qui grimpe vers l’église ; en haut, dans l’axe, plantée comme une évidence. De cette laide villa où la vie nous a conduits, jusqu’à la bâtisse religieuse, la rue grimpe en pente douce, sur cent cinquante mètres d’où vont partir, un an durant, toutes les aventures de mes douze ans.
Laide et froide, je la quitte facilement, la maison, mon ballon de cuir à la main, dont j’entends encore le bruit du rebond sur le mur ? Échappant sans problème au manque d’attraction de cette pseudo-villa, je ne vois pas je guette en premier lieu, de l’autre côté de la rue, la grille de ‘Ma Carme, vieille fille barbue mais seule propriétaire, dans ma rue, d’un poste de télévision. Pourquoi nul bruit dans la rue de l’Église ?
Puis mon regard remonte vers cette église, sous les piaillements d’hirondelles qu’une nostalgie hargneuse veut introduire ici pour y mettre du son.
En haut à gauche, le jujubier, dans le jardin des Domergue ; et mon oreille écoute s’il en sort quelque bruit du moteur d’une 403 camionnette qui pourrait—ô Dieu magique, fais un geste pour en enfant qui s’ennuie—nous conduire dans les champs, briser la monotonie de nos après-midi.
Les jours fastes, dans ma rue, je retrouve les copains, fils d’Oranais—Chacon, ma parole—avec qui je partage des racines algériennes.
Alors, nous allons derrière la sacristie, dans le “local”, compter les centimes futurs qui naîtront de notre collecte de vieux papiers. Dans l’odeur humide et vieille, journaux et vieux missels… Notre richesse de scouts de campagne.
Dans ma rue, j’y repasse parfois, mais rien ne m’y retient.

Essai 6

Attention à l'eau

Dans la rue du lycée, cette nuit, Raymond Chili rentre chez lui. Dans son manteau qui peine à le réchauffer, Raymond Chili rentre chez lui, perdu dans ses pensées. Foutue fin de soirée quand on a l'impression de s'être fait gruger. Personne n'apprécie. Pas plus lui que vous.

Pourtant, malgré tout, quelque chose de léger flotte dans l’air
— Je me suis fait gruger, presque voler, délester. Oui ! C'est cela, délester. Je suis plus léger de cinquante euros. Et tout cela pour m'entendre prévenir : « Attention à l'eau ! ».

Un rire lui échappe.
— Attention à l'eau ! Tu parles ! Au liquide, oui plutôt. Un beau billet, frais retiré du distributeur, il n'est pas resté deux heures dans ma poche ! Je t'ai payée en liquide, ma belle. Tu m'as bien eu ! Mais la faute à qui ? Hé… Je ne l'ai pas volé, remarque, poursuit-il, en sourdine, d'une voix à peine retenue. Raymond Chili rentre chez lui. Tel un hélium de l'âme, légère et enivrante, son excitation le pousse presque à prendre à témoin les quelques passants qu'il croise.

— Hé ! Vous ! Vous voulez vous savoir comment perdre cinquante euros ? Je vais vous le dire. Pas compliqué. Vous sortez en fin d'après-midi, poussé par la curiosité, la faim d'aventure. Vous courez direct chez une dame. Vous faites vos affaires et vous en ressortez, allégé du billet. Voilà !
Il y a des durs de la feuille, des fêlés du bocal… Moi, je suis un allégé du billet. Mais il est lourd aussi, d’un nouveau secret : attention à l’eau !

Elle l'avait prévenu, pourtant, la dame, dès l’arrivée. Installé dans le fauteuil club en vieux cuir, il l’a laissée parler.
— Savez-vous ce que vous venez chercher ? En avez-vous une idée ? Vous savez, on entre ici avec des questions, on en sort avec des réponses ! Mais pas nécessairement celles que l'on attend. Alors si cela vous effraie, il est encore temps. Vous savez les lignes, c’est particulier. C’est pas tout le monde qui apprécie. Chacun a ses limites…
Mais il n’a rien répondu. Tant pis. Trop tard, en franchissant sa propre porte pour rejoindre son rendez-vous, il l’avait déjà franchie la limite. Accepté, le sort. Abdiqué la résistance. Ouvertes les écoutilles vers le monde de la chiromancie.

Alors elle lui a pris la main, doucement, et l’a portée vers elle. Et c'est ainsi que tout a commencé.
L’esprit encore en suspension, ses limites, Raymond y réfléchit. Mais pas longtemps. Aujourd'hui sa raison raisonnante a pris la tangente. L’air de rien, la dame a pris sa main. Elle l’attire, et lui se laisse bercer. Cette prise en charge, peut-être l'attend-il depuis toujours. On résiste, on raisonne, on refuse, on récuse, on se dérobe, on s’enrobe dans de mauvais prétextes et la vie passe... Mais attend-on vraiment autre chose que de s’abandonner à l’autre, à ses visions, à ses verdicts ? Ce moment, Raymond l’attend peut-être sans le savoir depuis qu'il a quitté le ventre de sa mère. Ne plus réfléchir, lâcher prise, se laisser faire, perdre le contrôle, se perdre dans le néant d'un instant insensé où plus rien ne menace. Subtile suspension du temps. Raymond s'abandonne au hasard. Raymond s’abandonne au présent. Et le présent est excitant, avec ses promesses inconnues.

La dame, déjà, dans sa main pose la sienne. Son regard donne vie à ses lignes.
Que va-t-elle lui dire ? Quels avertissements ? Quelles menacent, enfouies dans ses paumes ? Quels éléments qui l’attendent au tournant : l’eau, le feu, l’air, l’argent ? Que doit-il faire ? Qui doit-il croire ? A-t-il déjà vécu le meilleur ou le pire ?
Silence. Le réchaud à pétrole habite la pièce de son ronron ouaté. Il fait bon. Il fait chaud. Et dans la paume de l'homme de cinquante ans, la dame se perd sur le Mont de Jupiter.

Géographe de l'âme, ce n'est pas une main qu'elle ausculte, c'est la carte de sa vie. Encore attaché à la réalité par quelque fil ténu qui résiste, Raymond l'observe. Attentif. La voilà qui passe de Mars au Soleil ; un saut dans les affaires ; un détour par le pouvoir ; la ligne d’intuition est chaînée.

La pression du pouce explorant le Mont-de-vénus se fait plus douce. L'autre pouce, lui, parcours en la frôlant la peau de Raymond qui s'endort.

La voyante descend dans l'infini des lignes de la main qu'elle maintient. Fermement. Elle est belle comme une femme qui n'attend rien. Pas d'enjeu sur son visage. Concentrée à l'extrême, elle ferme les yeux et lit avec les doigts le destin de Chili.

Vous avez des doigts qui parlent, vous, M. Chili. Vos signes cardinaux sont les premiers signes du trimestre, ceux des démarrages, de l'envie d'action. S'il se dégage une majorité de signes cardinaux dans votre thème, ceci dénote une capacité importante d'innovation, de changement. La contrepartie peut en être un manque de stabilité, de capacité à achever ce qui a été démarré. Mais voyez celle-là, c'est la ligne qui part de la base de la paume et se dirige vers l'auriculaire, le petit doigt qui vous raconte tout…


Pour vous, Monsieur Chili, ce doit être le siège des pressentiments et de vos rêves prophétiques, c'est votre 6e sens. Votre intuition est bien développée, vous "sentez " les bonnes ou les mauvaises influences qui se dégagent des gens et des choses. Une seule ligne nette et profonde indique le goût du commerce. Chez d’autres, le petit doigt spatulé indiquera une tendance au vol. Vous n’êtes pas voleur vous M. Chili. La ligne de Mercure nette, droite, commençant sur la rascette indiquera ici compétences et succès en affaire, lorsqu'elle s'arrête à la ligne de cœur et sur le mont de Mercure il y a des barres parallèles, le sujet dilapidera son patrimoine et risque de terminer sa vie dans la pauvreté pour n’avoir pas vu ce qu’il avait à voir, mais vous, monsieur Chili, vous avez de la chance, vous êtes venu me voir. Je vois de l’eau, monsieur Chili… Monsieur Chili ?

Mais Raymond n'est pas là. Pas encore. Pas déjà. Ne brise pas déjà cet espace de liberté, ce temps de pur présent ; ne dis rien qui précipite la fin de cet instant. Trop tard. Trahi par ce souhait de figer l’instant, réveillé par la voix qui poursuit, Raymond revient à sa vraie vie.
Et ce Mont de Saturne, Monsieur, regardez-le un peu, vous le voyez ?
Interloqué, n'osant pas l'avouer, Raymond ne le voit pas, sautant comme un cabri des yeux de la dame à la paume de sa main, Raymond cherche…
— Saturne, Saturne… Euh… Saturne… Vénus… Junon… Labyrinthe des sens. Ca sent le bureau d'écolier, la version latine qui se traîne, les émois du collégien qui n'a pour magazine qu'un livre de latin. Et l’eau, quelle eau ?
Mais elle, tel un Pointer levant une perdrix, suit la piste. Trop tard, il ne la freine pas. Le temps est là et se rappelle à lui.
Bonne confiance en soi… Trop, peut-être, trop ! Regardez ! Et elle parle et elle parle. Elle le regarde avec cet air confiant qu'ont les gens qui ne doutent de rien.
— Attention à l’eau, M. Chili, c’est clair, attention à l’eau. La plaine de Mars est dans l'alignement du majeur et de la Réussite…
La suite s’est passée dans un semi-nuage, il a payé, il est sorti.

Le majeur, j't'en foutrait moi, du majeur. C'était il y a une heure. Le voyage intersidéral dans l'espace du rêve ! L'atterrissage est dur. Raymond se perd en conjectures.
Évite une poubelle, Raymond ! Descend sur la chaussée. Traînasse ! Ne rentre pas chez toi y retrouver tes vieux doutes de vieux gars. Tu t'es laissé aller ce soir dans les mots d'une belle, tu y as cru. Tu as cru t’aventurer parce que tu t’es confié. Mais tu as laissé le sort décider pour toi ! Traînasse et réfléchis. Marche sur le trottoir, évite les ordures qui se répandent en attendant le rendez-vous fatal du camion poubelle. Saturne et Vénus sont reparties en java, dans l'au-delà. Mais seules. Sans toi.

Le camion, le voilà. De rage, tape dans une boîte. Écrase un pack de lait, envoie valser cette croûte qu'un peintre du dimanche a lâchement déposée. À moins qu'il ne s'agisse d'un héritier venu débarrasser le grenier du tonton qu'on a jamais connu et qui vous gratifie d'un vieux tableau de mer… Lui aussi il attend le camion. Oubliant un instant son eau et son destin qu’il balaie d’un revers de main (je sais nager, je m’en fous de cette eau…) Raymond Chili feint de se baisser pour emporter chez lui cette épave de la nuit, cette gouache jaunie qui luit sous les tropiques d'un triste lampadaire. Et qui lui plaît. Mais la phrase lui revient. L'injonction chère payée ! Attention à l'eau ! Et son esprit repart, et lui suit comme l’aveugle son chien : L'eau, oui ! Mais quelle eau ? La pluie ? L'eau du Ricard ? Du robinet ? De Cologne ? Minérale ?

Les freins du camion détournent sa pensée et il regarde travailler les hommes de la nuit.
Eux, leurs 50 euros, ils les auront gagnés et ils sauront pourquoi. Moi j'ai placé le billet mais pas encore touché les intérêts, murmure l’homme attardé dans la nuit.
Sans même s'en rendre compte, Raymond rentre chez lui, la main calée dans la poche, encore chaude et fermée sur ce mystère qui demeure dans ses lignes. Une petite Suze, les dents et au lit.

Avec le doux des draps connus, l'espoir reprend sa place. Demain il fera jour et je sais de quoi sera faite ma journée. Café, journal. Pas de hasard. Plus de voyance et je ne suivrai plus que mes seules intuitions !
Midi Libre, édition Gard, du dimanche 7 janvier.
Rubrique faits divers.
Gros lot sur le trottoir
Un éboueur découvre un Seurat dans la rue.
« Je l'ai vu. Il m'a plu, alors comme j'ai toujours rêvé d'avoir un tableau chez moi, je l'ai gardé. Et ce matin, mon voisin à qui je l'ai montré m'a dit qu'il vaut dans les deux millions d'euros », a déclaré, ravi, Ahmed B. éboueur de la Ville de Nîmes qui a trouvé rue du Lycée une toile de Georges Seurat que l’on croyait perdue. Peinte en 1890, cette œuvre intitulée Le canal à Gravelinnes, direction de la mer, frappe par son pointillisme et son équilibre entre le ciel et l'eau.
Saint du jour
On fête les Raymond et les Virginie.
La lune se lève à 19 h 43.
Léger Mistral sur le Golfe du Lion.

Essai 5

Laissons les mots

Je me souviens qu’un jour j’aurai tout oublié. Je me souviens que ce jour-là, j’aurai décidé de tout oublier. Je ne me souviens pas exactement
de la raison qui m’y aura poussé mais—et cela, je m’en souviens clairement—je sais qu’elle m’aura poussé si fort ou si longtemps qu’en fait, je n’aurai pas résisté.
Pourtant je me rappelle cette époque où chaque occasion était pour moi prétexte à revenir à ces instants que l’on garde comme de vieux livres pour les soirs de disette. Je me souviens par exemple de l’un d’entre eux, sur l’étagère disons… de l’enfance triste. Je me souviens que celui-là, tel un majordome anglais en retrait de la table, accourait au premier tintement de clochette ; que dis-je, accourait, prévenait, même, mes moindres souvenirs, sur le rayon de l’enfance triste.
Je me souviens de cet état [que j’aurai donc décidé d’oublier un jour]. Je m’en souviens : c’est du passé. Décider d’oublier : c’est du présent. À présent, je m’en souviens, j’étais pourtant bien dans l’instant ce jour-là. Enfin… bien… J’étais mal, je m’en souviens, dans cette cour de mon école, seul au milieu des autres, enfant isolé au milieu des enfants qui jouent. Quelle pire solitude ? Quelle belle fondation pour construire encore et toujours ma maison de l’enfance triste !
J’étais triste, donc. Non ! Pire, je m’en souviens : désespéré ! Envahi de désespoir. Aaaah ! Mais assez !
Je me souviens, disais-je, que j’oublierai tout cela.

Emmaüs, après tout, accepte aussi ces livres-là. Pas besoin de leur dire qu’ils ont déjà vécu, servi, trahi même, nos vies, en nous portant à croire qu’il était bon pour nous de les relire, encore et encore… Je me souviens aussi que… mais à quoi bon.

Je me souviens donc, c’est clair, c’est évident, que, dans peu de temps, eu égard au temps déjà passé, j’oublierai tout de ces états de vie qu’à trop solliciter l’on rend morbides, l’on empêche de mourir, préférant dépérir à leur place. Je me souviens aussi que, pareil à des fantômes las de flotter entre l’ex et le là, entre passé et rien, ils ne demandent qu’une chose : le repos éternel.

Oui… oui, je me souviens… Je me souviens de toi et de toi et de toi. Je me souviens de vous et de vous et de vous. Je me souviens de moi avec toi, avec vous. Je me souviens d’elles, je me souviens d’eux. Je me souviens encore… Mais… non ! je ne me souviens plus.

Voilà, le temps est là, il vient, je le sais je le sens, où c’est bien au présent que je me souviendrai bientôt facilement, allégrement et sans aucune retenue de mes joies du jour.
Je n’aurai plus alors d’autre souvenir.
Laissons les mots enterrer les morts.

Essai 4

Boire, manger

Sieste crapuleuse
J’ai commencé très tôt à suivre mes instincts. Cet après-midi-là, jusque dans la cuisine. Dans une maison calme. L’heure de la sieste. Les portes du placard qui roulent sur leur rail. Silence assourdissant. Et rien à la portée d’une main de huit ans. Mais qu’est-ce qui crie en moi, : vas-y, prends-la ! Vite. Cette bouteille de rouge me tente trop, et, pressé par l’urgence de n’être pas trahi, goulot goulu, j’avale ! Mal m’en a pris, c’est du vinaigre

Goûter pas dégoûtant
Le goût en veut-il toujours plus ? Qu’on se soit contenté durant toute l’enfance d’une tranche de pain et deux morceaux de sucre, pour aller de midi jusqu’au soir… Mes goûters d’enfant avaient aussi leur version XXL. Les jours où se trouvaient en même temps, dans le frigidaire et le placard : pain, beurre et sucre en poudre.

Dimanche soir à L’Isle-sur-la-Sorgue
Dans la maison provençale de Monette et Lili, mes parents acceptaient quelques fois l’invitation du dimanche soir. Alors, c’était comme une prolongation, qui repoussait le retour en voiture, la table à mettre, les devoirs, les dents, pipi, au lit !
— On reste pour dîner !
— Ouaaais !
Saucisson, olives noires, omelette… Et même la télé, avec Poly. Merci Monette, merci Lili.

Café tropical
L’Afrique, la nuit. L’invitation du chef : venez prendre le café. Assis par terre, nous attendons sa fille qui va nous l’apporter. La voilà. Eau chaude, casserole, et le chef, le geste religieux, extrait d’un sac en plastique où ils collaient des jours heureux une motte de nescafé et deux morceaux de sucre. Adieu café tropical, yeux noirs et rêves doux. Je rêverai ce soir encore seul dans ma case.

À la russe
Dans cet appartement communautaire du centre de Moscou, tu m’as fait découvrir, sans doute sans t’en douter, la sensualité qu’il y a à offrir un simple cornichon comme on donne la becquée. Nourrir. Plus vieux geste du monde.

À quoi sert de garder le vin ?
Il y a des rendez-vous manqués. Dix ans que je la protégeais. Et c’était de ma part leur faire beaucoup d’honneur que de la partager. La seule que j’avais. Trente-cinq francs en 1978, ça en fait des euros dans la main d’un jeune de vingt ans ! Elle en a traversé des déménagements ! Et bien croyez-moi si vous voulez, mais pas un mot n’a été prononcé à la fin du repas sur cette bouteille d’Ermitage 76…

Le Khash
Manger, aaah ! Manger… Mais manger trop ! C’est pire dans la douleur que l’autre dans le plaisir. Il y a en Arménie un plat national que l’on nomme le Khash. Bœuf cuit des heures, avec pieds, queue, oreilles, mufle, que sais-je encore, pour lui donner cette odeur d’étable que, ma foi, affamé, on peut aimer… Mais mon estomac contemporain n’a pas supporté. Je l’ai gardé. Mais il m’a fallu dix-huit heures de sommeil continu pour vraiment l’oublier.

Un sandwich à Auschwitz
Le meilleur sandwich de ma vie, désolé, mais c’est entre Auschwitz et Birkenau que je l’ai dégusté. Pour les gefangene, j’ai bien trop de respect pour ne serait-ce que même m’en amuser. Mais c’est ainsi. Apporté par des Juifs jusque depuis Paris. Venus pour faire mémoire, ils m’en avaient nourri. Ce pain béni avait choisi ce lieu pour s’exprimer…

Canon à moelle
Si vous avez lutté autour de la tablée de votre enfance pour obtenir une part de moelle — cerise sur le gâteau d’un pot-au-feu qu’il fallait bien avaler — alors vous comprendrez que, quand la serveuse m’a apporté ledit canon à moelle : 25 cm de long, coupé en deux, rempli de moelle, aux Bacchantes, à Paris, j’ai vécu l’un des grands moments de toute ma vie d’adulte.

samedi 8 décembre 2007

Essai 1

Sur la place du village

« Vé la », il m’a dit, Trois-doigts, quand elle a traversé la place.
C’était samedi dernier, je me souviens, il te pétait une lune ! Qué cagnard ! Un temps à dormir comme un missare. Je l’ai vue, le cœur m’a fait tife-tafe. Putain qu’elle était belle !
Trois-doigts, c’est le frère du Canard, le fils de Tire-barque. Son père, on l’appelle comme ça parce qu’il marche comme si on lui avait accroché le monde au cul.

Trois-doigts, c’est mon collègue. On s’est élevés ensemble, sur cette place et, depuis tout minots, on l’a pas quitté, notre village. Ici, les gens, on les connaît tous ; même les ceusses qui viennent d’arriver, qui sont là depuis dix ans, ou vingt ans.
C’est pour ça que, celle-là, quand on l’a vue, on a crié sèbe… Celle-là… je veux dire, ça fait… allez quoi ? Cinq ans qu’on l’avait pas vue. On avait fait bafras avec elle, Trois-doigts et moi, mais, y a longtemps si vous préférez.
Et là ! Elle qui vient vers nous, avé le cul qui chante… Je l’ai de suite reconnue. La fille du Piche du canal.
Son père, à force d’écorcher les crapauds, il avait ramassé le paquet.
Hé bé c’était sa fille !
Moi et Trois-doigts, c’était souvent qu’on pensait la même chose en même temps. Il l’avait reconnue aussi.
— Il avait de l’oignon son père, tu te rappelles les poutingues, raouuu, digue, Pascal, tu te rappelles ? Sasse qu’il avait pas la brode, le Piche.
Elle s’approchait vers nous autres.

À l’époque, on avait trouvé un fringue-mirgue qui voulait changer sa trapanelle. Une vieille R8 qui avait attrapé un pète sur la couscourre entre Beaucaire et Bellegarde. Nous, on revenait d’empéguer des anguilles dans le canal quand il nous a crié :
— O-oh les jeunes, y a pas une casse par ici ?— Une casse ? Hé ! Pardine ! Y a le Piche !
— Vous allez me cherche un delco de R8, je vous donne la pièce !
Nous, l’été qui finissait nous avait mis minables. La pièce on la prenait sans ranconner. On n’allait pas faire les gourmeux.
C’est chez le Piche que Trois-doigts il a eu son baptême. Une tôle qui lui glisse, le sang qui lui pisse, et deux doigts qui s’escampent. C’est depuis là qu’on l’appelle Trois-doigts..
Le Piche appelle sa mère. Elle lui met le pansement, au Trois-doigts ; le Piche il apporte trois verres ; on a bu comme des galuffes. Deux heures après, on repart avé le delco. On en tenait une brave.
— Tu te rappelles la pélouffe, Pascal ?
— Si je me rappelle ? Une pélouffe ? Une jujube tu veux dire ! Tu as fait Raoul au moins deux fois sur le chemin !
Vous me remettez ? tu lui disais, au parisien d’Avignon, vous me remettez ? Moi j’ai la mienne de pièce, tu lui disais, en agitant le delco sous son nez, et la vôtre, où elle est ?

L’autre y croyait qu’il allait nous faire quincanelle. Esquiché dans sa veste, il avait une tête à faire du bois de lune, alors mèfi…
Moi, je me pensais : toi, tu iras pas de suite faire téter les puces, c’est nous qu’on a le delco et on a pas été baptisés à l’eau de morue. »
Trois-doigts, il lui a expliqué comme ça que, rapport à son delco, il avait payé de sa personne.
Ce jour-là, cocagne, on a renfloué la caisse…

Et elle qui arrive…
— Adieu Pascal, adieu Trois-doigts !
Tu l’aurais vue… Un tafanari à deux places ; et un sourire… Coquin de sort !
— Oh ma belle ! Tu es revenue ? je lui dis.
— Et pourquoi ? tu te languissais ? elle me répond. À moi !
Oh ! t’ien veux des paroles coum aquo ?
C’était samedi. Depuis, je veux dire, Trois-doigts et moi, on s’observe.
On est collègues, mais…

Essai 2

L'hiver au lit à Liverpool *

Griller juillet et sans rien faire
Sur la plage famélique
De l’étang d’Berre
Pétrolé par la houle,
même en slip chic
Si j’ai pas l’choix, d’accord

Mais si on l’a,
j’préfère encore…
Partir à pieds chez ma copine
Voir sa géographie
Tellement douce
et tell’ment fine

Sitôt mon arrivée
et deux bouteilles vidées
À poil sous la marquise
Dévoilée et conquise
C’est du velours,
ça, comme séjour !

Ouaaaah
Même en y allant en torpédo
Se les geler en février
À battre le pavé
Aux pieds des pistes
Papa qui raque,
maman qui crie,
Les gosses, la foule
Le cœur patraque
Y’en a qu’ça
émoustille

Mais quant à moi,
je craque
pour…
Me réchauffer
en février
Sous un’ pt’tite poule,
sans son
p’tit frère
Loin des boîtes
à la mode
Moi et ma copine
on préfère
Chauffer nos pieds qui brodent
Emboîter nos reliefs
Comme deux sardines, chez ma copine

Chauffer nos pieds qui brodent
Emboîter nos reliefs
Comme deux sardines, chez ma copine

* D'après la chanson de Jacques Higelin

Essai 3


Noms de nom


C’est assez tard, finalement, qu'il apprit qu'il n’était pas lui.
— La manière juste de dire les choses n’est peut-être pas celle que vous employez. Si votre mère a perdu ses deux premiers enfants, lui avait soufflé certaine dame lors d’une de ses rares incursions verbales dans leurs silences partagés.
Oui… C’est exact. Je ne suis pas le second mais le quatrième d’une famille dont les deux premiers enfants n’ont pas survécu à la naissance, avait-il rectifié, prenant soudain une conscience juste de sa place dans la fratrie.
Il faut dire, à sa décharge que, bien loin des contrées modernes de Dolto, sa mère, dans sa jeune vie de campagnarde, avait donné à ses deux premiers garçons vivants, les mêmes prénoms qu’à ses deux premiers garçons disparus… Identiques, mais inversés. Pourquoi ? Elle y tenait donc tant à ce Paul et à ce Marc, qu’elle leur attribua donc, à son frère et lui, affublés simplement d’un “virgule Marie”, appendice dont il n’a jamais su s’il résultait d’un secret marché passé avec la mère du Christ pour qu’elle — entre femmes elles avaient dû traiter en direct — leur accorde la vie refusée aux deux prédécesseurs.
Il se prénommait donc Paul, Marie. À ne pas confondre avec Paul-Marie.
Enfin "il"… Ce n’est pas si simple. Un prénom, c’est pire qu’un nom parfois. Ca se conquiert. Si ce n’est pas le tout, c’est le début de l’identité. Une porte d’entrée vers le nom. Nommant sa place dans la fratrie, donc, il allait lui falloir quelques années de plus pour en vérifier la nature : Paul était-il lui ou l’autre ? Il était un autre. Rimbaud n’avait pas tort.
Il en eut cette confirmation particulière ce jour où, pour en avoir le cœur net, il avait questionné sa mère sur ses choix identitaires..
Mais là, lui avait-il dit, tandis qu’elle lui parlait d’un Paul, de qui parles-tu, de lui ou de moi ?
Non, non, de lui, répondit-elle sur un ton d’évidence…
— Bien sûr. Je n’ai pas dû suivre d’assez près l’histoire, trop occupé à scruter sur son visage des signes authentifiant mes intuitions naissantes. Bon… Au moins c’est clair. Moi c’est l’autre. On appelle cela un enfant de remplacement, paraît-il. Le remplacement, en soi, n’est pas un problème. Le tout est de savoir qui l’on doit remplacer. C’est donc bien une histoire de conquête, mais sans territoire identifié, se dit-il.