dimanche 9 décembre 2007

Essai 4

Boire, manger

Sieste crapuleuse
J’ai commencé très tôt à suivre mes instincts. Cet après-midi-là, jusque dans la cuisine. Dans une maison calme. L’heure de la sieste. Les portes du placard qui roulent sur leur rail. Silence assourdissant. Et rien à la portée d’une main de huit ans. Mais qu’est-ce qui crie en moi, : vas-y, prends-la ! Vite. Cette bouteille de rouge me tente trop, et, pressé par l’urgence de n’être pas trahi, goulot goulu, j’avale ! Mal m’en a pris, c’est du vinaigre

Goûter pas dégoûtant
Le goût en veut-il toujours plus ? Qu’on se soit contenté durant toute l’enfance d’une tranche de pain et deux morceaux de sucre, pour aller de midi jusqu’au soir… Mes goûters d’enfant avaient aussi leur version XXL. Les jours où se trouvaient en même temps, dans le frigidaire et le placard : pain, beurre et sucre en poudre.

Dimanche soir à L’Isle-sur-la-Sorgue
Dans la maison provençale de Monette et Lili, mes parents acceptaient quelques fois l’invitation du dimanche soir. Alors, c’était comme une prolongation, qui repoussait le retour en voiture, la table à mettre, les devoirs, les dents, pipi, au lit !
— On reste pour dîner !
— Ouaaais !
Saucisson, olives noires, omelette… Et même la télé, avec Poly. Merci Monette, merci Lili.

Café tropical
L’Afrique, la nuit. L’invitation du chef : venez prendre le café. Assis par terre, nous attendons sa fille qui va nous l’apporter. La voilà. Eau chaude, casserole, et le chef, le geste religieux, extrait d’un sac en plastique où ils collaient des jours heureux une motte de nescafé et deux morceaux de sucre. Adieu café tropical, yeux noirs et rêves doux. Je rêverai ce soir encore seul dans ma case.

À la russe
Dans cet appartement communautaire du centre de Moscou, tu m’as fait découvrir, sans doute sans t’en douter, la sensualité qu’il y a à offrir un simple cornichon comme on donne la becquée. Nourrir. Plus vieux geste du monde.

À quoi sert de garder le vin ?
Il y a des rendez-vous manqués. Dix ans que je la protégeais. Et c’était de ma part leur faire beaucoup d’honneur que de la partager. La seule que j’avais. Trente-cinq francs en 1978, ça en fait des euros dans la main d’un jeune de vingt ans ! Elle en a traversé des déménagements ! Et bien croyez-moi si vous voulez, mais pas un mot n’a été prononcé à la fin du repas sur cette bouteille d’Ermitage 76…

Le Khash
Manger, aaah ! Manger… Mais manger trop ! C’est pire dans la douleur que l’autre dans le plaisir. Il y a en Arménie un plat national que l’on nomme le Khash. Bœuf cuit des heures, avec pieds, queue, oreilles, mufle, que sais-je encore, pour lui donner cette odeur d’étable que, ma foi, affamé, on peut aimer… Mais mon estomac contemporain n’a pas supporté. Je l’ai gardé. Mais il m’a fallu dix-huit heures de sommeil continu pour vraiment l’oublier.

Un sandwich à Auschwitz
Le meilleur sandwich de ma vie, désolé, mais c’est entre Auschwitz et Birkenau que je l’ai dégusté. Pour les gefangene, j’ai bien trop de respect pour ne serait-ce que même m’en amuser. Mais c’est ainsi. Apporté par des Juifs jusque depuis Paris. Venus pour faire mémoire, ils m’en avaient nourri. Ce pain béni avait choisi ce lieu pour s’exprimer…

Canon à moelle
Si vous avez lutté autour de la tablée de votre enfance pour obtenir une part de moelle — cerise sur le gâteau d’un pot-au-feu qu’il fallait bien avaler — alors vous comprendrez que, quand la serveuse m’a apporté ledit canon à moelle : 25 cm de long, coupé en deux, rempli de moelle, aux Bacchantes, à Paris, j’ai vécu l’un des grands moments de toute ma vie d’adulte.

Aucun commentaire: