samedi 8 décembre 2007

Essai 1

Sur la place du village

« Vé la », il m’a dit, Trois-doigts, quand elle a traversé la place.
C’était samedi dernier, je me souviens, il te pétait une lune ! Qué cagnard ! Un temps à dormir comme un missare. Je l’ai vue, le cœur m’a fait tife-tafe. Putain qu’elle était belle !
Trois-doigts, c’est le frère du Canard, le fils de Tire-barque. Son père, on l’appelle comme ça parce qu’il marche comme si on lui avait accroché le monde au cul.

Trois-doigts, c’est mon collègue. On s’est élevés ensemble, sur cette place et, depuis tout minots, on l’a pas quitté, notre village. Ici, les gens, on les connaît tous ; même les ceusses qui viennent d’arriver, qui sont là depuis dix ans, ou vingt ans.
C’est pour ça que, celle-là, quand on l’a vue, on a crié sèbe… Celle-là… je veux dire, ça fait… allez quoi ? Cinq ans qu’on l’avait pas vue. On avait fait bafras avec elle, Trois-doigts et moi, mais, y a longtemps si vous préférez.
Et là ! Elle qui vient vers nous, avé le cul qui chante… Je l’ai de suite reconnue. La fille du Piche du canal.
Son père, à force d’écorcher les crapauds, il avait ramassé le paquet.
Hé bé c’était sa fille !
Moi et Trois-doigts, c’était souvent qu’on pensait la même chose en même temps. Il l’avait reconnue aussi.
— Il avait de l’oignon son père, tu te rappelles les poutingues, raouuu, digue, Pascal, tu te rappelles ? Sasse qu’il avait pas la brode, le Piche.
Elle s’approchait vers nous autres.

À l’époque, on avait trouvé un fringue-mirgue qui voulait changer sa trapanelle. Une vieille R8 qui avait attrapé un pète sur la couscourre entre Beaucaire et Bellegarde. Nous, on revenait d’empéguer des anguilles dans le canal quand il nous a crié :
— O-oh les jeunes, y a pas une casse par ici ?— Une casse ? Hé ! Pardine ! Y a le Piche !
— Vous allez me cherche un delco de R8, je vous donne la pièce !
Nous, l’été qui finissait nous avait mis minables. La pièce on la prenait sans ranconner. On n’allait pas faire les gourmeux.
C’est chez le Piche que Trois-doigts il a eu son baptême. Une tôle qui lui glisse, le sang qui lui pisse, et deux doigts qui s’escampent. C’est depuis là qu’on l’appelle Trois-doigts..
Le Piche appelle sa mère. Elle lui met le pansement, au Trois-doigts ; le Piche il apporte trois verres ; on a bu comme des galuffes. Deux heures après, on repart avé le delco. On en tenait une brave.
— Tu te rappelles la pélouffe, Pascal ?
— Si je me rappelle ? Une pélouffe ? Une jujube tu veux dire ! Tu as fait Raoul au moins deux fois sur le chemin !
Vous me remettez ? tu lui disais, au parisien d’Avignon, vous me remettez ? Moi j’ai la mienne de pièce, tu lui disais, en agitant le delco sous son nez, et la vôtre, où elle est ?

L’autre y croyait qu’il allait nous faire quincanelle. Esquiché dans sa veste, il avait une tête à faire du bois de lune, alors mèfi…
Moi, je me pensais : toi, tu iras pas de suite faire téter les puces, c’est nous qu’on a le delco et on a pas été baptisés à l’eau de morue. »
Trois-doigts, il lui a expliqué comme ça que, rapport à son delco, il avait payé de sa personne.
Ce jour-là, cocagne, on a renfloué la caisse…

Et elle qui arrive…
— Adieu Pascal, adieu Trois-doigts !
Tu l’aurais vue… Un tafanari à deux places ; et un sourire… Coquin de sort !
— Oh ma belle ! Tu es revenue ? je lui dis.
— Et pourquoi ? tu te languissais ? elle me répond. À moi !
Oh ! t’ien veux des paroles coum aquo ?
C’était samedi. Depuis, je veux dire, Trois-doigts et moi, on s’observe.
On est collègues, mais…

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