samedi 8 décembre 2007

Essai 3


Noms de nom


C’est assez tard, finalement, qu'il apprit qu'il n’était pas lui.
— La manière juste de dire les choses n’est peut-être pas celle que vous employez. Si votre mère a perdu ses deux premiers enfants, lui avait soufflé certaine dame lors d’une de ses rares incursions verbales dans leurs silences partagés.
Oui… C’est exact. Je ne suis pas le second mais le quatrième d’une famille dont les deux premiers enfants n’ont pas survécu à la naissance, avait-il rectifié, prenant soudain une conscience juste de sa place dans la fratrie.
Il faut dire, à sa décharge que, bien loin des contrées modernes de Dolto, sa mère, dans sa jeune vie de campagnarde, avait donné à ses deux premiers garçons vivants, les mêmes prénoms qu’à ses deux premiers garçons disparus… Identiques, mais inversés. Pourquoi ? Elle y tenait donc tant à ce Paul et à ce Marc, qu’elle leur attribua donc, à son frère et lui, affublés simplement d’un “virgule Marie”, appendice dont il n’a jamais su s’il résultait d’un secret marché passé avec la mère du Christ pour qu’elle — entre femmes elles avaient dû traiter en direct — leur accorde la vie refusée aux deux prédécesseurs.
Il se prénommait donc Paul, Marie. À ne pas confondre avec Paul-Marie.
Enfin "il"… Ce n’est pas si simple. Un prénom, c’est pire qu’un nom parfois. Ca se conquiert. Si ce n’est pas le tout, c’est le début de l’identité. Une porte d’entrée vers le nom. Nommant sa place dans la fratrie, donc, il allait lui falloir quelques années de plus pour en vérifier la nature : Paul était-il lui ou l’autre ? Il était un autre. Rimbaud n’avait pas tort.
Il en eut cette confirmation particulière ce jour où, pour en avoir le cœur net, il avait questionné sa mère sur ses choix identitaires..
Mais là, lui avait-il dit, tandis qu’elle lui parlait d’un Paul, de qui parles-tu, de lui ou de moi ?
Non, non, de lui, répondit-elle sur un ton d’évidence…
— Bien sûr. Je n’ai pas dû suivre d’assez près l’histoire, trop occupé à scruter sur son visage des signes authentifiant mes intuitions naissantes. Bon… Au moins c’est clair. Moi c’est l’autre. On appelle cela un enfant de remplacement, paraît-il. Le remplacement, en soi, n’est pas un problème. Le tout est de savoir qui l’on doit remplacer. C’est donc bien une histoire de conquête, mais sans territoire identifié, se dit-il.

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